Nous vous présentons un extrait du très intéressant dossier rédigé par Marion Le Bihan, Reine de Cornouaille 2013, consacré à l’accordéon en centre-Bretagne.
Merci de nous avoir permis de l’utiliser !
Les premiers accordéons datent des années 1850 et proviennent d’Italie et d’Allemagne. Ils sont arrivés en France notamment grâce aux marins, qui les utilisaient pour accompagner leurs chants. Ces accordéons sont alors diatoniques : une même touche produit deux sons différents selon l’orientation du soufflet (en le poussant ou en le tirant). Il y a donc deux notes par bouton, ce qui explique en partie sa petite taille, contrairement à son «petit frère», l’accordéon chromatique, qui ne produit qu’une seule note à partir d’une même touche et qui se développera quelques années plus tard.
Dans le Centre-Bretagne, vaste territoire regroupant différents pays de la Cornouaille et du pays vannetais, mais auquel aucune limite fixe n’est attribuée, ils ne sont apparus qu’à partir de 1910. En Haute-Cornouaille, en plein cœur du Centre-Bretagne on s’intéressera bien sûr au pays Fisel, mais aussi à une partie des Montagnes Noires et des Monts d’Arrée. Enfin, au nord du pays vannetais, nous ciblerons le pays du Kost ar c'hoat, et le pays Pourlet.
Il est bien important de différencier Haute-Cornouaille et pays vannetais, car les traditions musicales étaient différentes, par conséquent l’accordéon ne s’y est pas implanté de la même manière.
Comment l’accordéon a-t-il réussi à s’imposer dans le Centre-Bretagne ?
L’accordéon diatonique est apparu dans le Centre Bretagne quelques années après qu’il soit arrivé dans le reste de la Bretagne. Il fut suivi de près par l’accordéon chromatique.
I. L’arrivée de l’accordéon diatonique
L’accordéon diatonique
L’accordéon diatonique est l’appellation plutôt erronée d’un instrument qui devrait s’appeler «accordéon bi-sonore», car chaque bouton produit deux sons différents suivant le sens du soufflet.
Le terme « diatonique », fait allusion à la gamme diatonique, gamme la plus simple que l’on puisse trouver, sans aucun dièse ou bémol à la clé pour la gamme de do par exemple (do, ré, mi, fa, sol, la, si). Pour faire simple, elle correspond aux touches blanches du piano. Si ce terme est exact pour les premiers accordéons, qui n’avaient qu’une seule rangée de boutons, rapidement, les accordéons ont évolué et ont acquis une rangée de touches supplémentaires, dans une tonalité différente de la première. Quelques altérations (dièses ou bémols qui correspondent aux touches noires du piano), sont donc venues se rajouter.
Accordéon à une rangée
L’arrivée tardive de l’accordéon diatonique dans le Centre-Bretagne
Dans les années 1900, alors que l’accordéon se répand dans une bonne partie de la Bretagne, celui-ci est encore inexistant dans le Centre-Bretagne. En Haute-Cornouaille, la tradition demeure chantée avec une majorité de chanteurs de kan ha diskan. En revanche, au nord du pays vannetais, la tradition est instrumentale, portée par des couples de biniou-bombarde.
Quand l’accordéon est arrivé en Centre-Bretagne vers 1910, le terrain était donc « vierge », avec pratiquement aucun instrument dans ce secteur. Seule la clarinette pouvait se trouver, mais ceci dans un secteur très restreint autour de Rostrenen, Kergrist-Moëlou, Plouguernével et Maël-Carhaix (22). Il était aussi possible de rencontrer quelques couples de sonneurs biniou-bombarde lors de grandes fêtes, telles que des noces. Mais uniquement les personnes riches du Centre-Bretagne pouvaient se permettre ce privilège.
Selon Yann Goas, l’accordéon diatonique serait arrivé « par wagons entiers à la gare de Carhaix » et aurait très vite envahi les fermes avoisinantes.
Cette forte popularité s’explique tout d’abord par le prix très attractif de cette « boîte à soufflet », vite rentabilisée. Job Le Boulche de Malguénac (56) par exemple, achète son diatonique en 1911 pour 27,50 francs et gagne 30 francs dès sa première noce. L’affaire rapporte et donne envie !
De plus, facile à jouer et à la portée de tous, il sonne immédiatement à la moindre poussée d’une touche et ne nécessite ni entretien, ni nettoyage.
C’est ainsi que dans les années 1920, on compte déjà une trentaine d’accordéons par commune, parfois même plus comme à Glomel où il existait plus d’une centaine de fermes et donc beaucoup d’accordéonistes amateurs !
En effet, ces accordéonistes n’étaient pas des professionnels, mais de simples amateurs : agriculteur, artisan, meunier, cordier, etc. Ils jouaient avant tout pour le plaisir, pour « amuser la galerie » et faire danser.
Toutes les occasions étaient bonnes pour jouer, souvent après une dure journée de travail lors des grands travaux (ramassage collectif de pommes de terre, relevage d’un talus, battage…) Musique et danse étaient alors au rendez-vous, lors des fameux « festoù-noz pato ». Ces grandes journées exigeaient l’entraide des habitants d’un ou plusieurs villages. C’était donc toute une communauté qui travaillait successivement l’une chez l’autre. Parmi eux, se trouvait toujours un accordéoniste ou un chanteur pour les faire danser.
Hyacinthe Guégan, sonneur de clarinette du pays Fisel mais aussi amateur d’accordéon, se souvient de ces journées alors qu’il n’était qu’enfant. « Quand le sol n’était plus net, quand des creux ou des trous apparaissaient, il fallait le défaire avec des pioches, puis travailler la terre avec de l’eau jusqu’à ce qu’elle arrive souple. Il fallait ensuite tasser la terre, et pour cela, rien de mieux que les pas de danseurs accompagnés au son de l’accordéon, sur une gavotte ou un fisel. C’était le fest-noz « leur zi bri », autrement dit, le fest-noz pour refaire le sol en terre battue.)
Néanmoins, certains accordéonistes avaient déjà une certaine expérience en musique. En effet nombreux sont les sonneurs de biniou-bombarde, ou de clarinette qui ont dû se convertir à l’accordéon diatonique afin de préserver leur clientèle de noce.Deux raisons principales à ce changement :
- Tout d’abord, les accordéonistes jouaient généralement seuls, il n’y avait donc qu’une seule personne à payer lors des noces, tandis qu’il fallait payer deux personnes lorsqu’un couple jouait.
- De plus, l’accordéon offrait un avantage, il pouvait jouer à la fois le répertoire traditionnel, et le répertoire moderne venant de Paris très apprécié dans les années 30.
Il n’est pas rare de rencontrer dans le Centre-Bretagne des « multi-instrumentistes », tel qu’Adrien Thomas, de Kergrist-Moelou (22), et les frères Guégan, de Rostrenen (22), pratiquant de la clarinette et de l’accordéon diatonique, mais aussi des chanteurs de kan-ha-diskan jouant du diatonique comme Joseph Rohou, Yves Calvez ou Iwan Le Guilcher.
De plus, après la Grande Guerre, autour de Rostrenen, accordéon diatonique et clarinette vont de plus en plus s’associer tout comme l’accordéon diatonique et la batterie.
Puis, apparaît dans les années 1930, la mode du « jazz ». Il s’agit d’une grosse caisse actionnée par le pied du joueur, au son impressionnant, qui marque très bien la cadence.
Les airs joués par les accordéonistes à l’époque, étaient majoritairement des airs repris de chanteurs ou de sonneurs selon le territoire. Les morceaux se transmettaient souvent de père en fils, mais surtout de grand-père à petit-fils, car ces derniers admiraient souvent leurs aïeux. C’est tout naturellement qu’ils essayaient de les imiter en reproduisant au diatonique ces airs. Seule la mélodie les préoccupait, le but premier était avant tout de faire danser. Ils ne se souciaient pas de l’accompagnement à la main gauche, et se contentaient d’appuyer plus ou moins au hasard sur les accords main gauche ! Peu importe s’il y avait des dissonances ! Ces accords n’étaient utilisés que pour leur aspect rythmique et non harmonique.
Aujourd’hui on retrouve beaucoup d’airs typiques d’accordéon de cette époque, dont on ignore les auteurs. Ces morceaux se ressemblent beaucoup, sont souvent répétitifs et le « chemin » des doigts est similaire d’un morceau à un autre.
Quelques années plus tard, l’accordéon diatonique laissera place à l’accordéon chromatique avec l’arrivée des danses en couple.
Jean Ogé et son «jazz» à Huelgoat en 1939
II. L’apparition de l’accordéon chromatique
L’accordéon chromatique
L’accordéon chromatique est quant à lui un accordéon à système « uni-sonore ». C’est-à-dire qu’une touche produit le même son lorsque l’on tire ou l’on pousse le soufflet.
Il est appelé « chromatique », car il comporte toutes les notes de la gamme chromatique (do, do#, ré, miB, mi, fa, fa#...)
Il peut donc jouer avec n’importe quel instrument, car il peut s’adapter à toutes les tonalités possibles.
On trouve des chromatiques à touches piano (rares en Bretagne) ou à touches boutons.
2) L’ascension de l’accordéon chromatique et la formation des jazz-bands
La période de l’avant-guerre
À partir de 1930, une nouvelle mode apparaît : celle des « dañs kof ha kof », ou ventre-à-ventre, qui sont des danses en couple, comme la mazurka, la valse, la scottish, la polka, ou le tango provenant de la région parisienne.
À cette époque beaucoup de Bretons doivent s’exiler à Paris, et y découvrent le répertoire musette, apparu grâce à la rencontre de la culture des Auvergnats, et celle des Italiens qui ont apporté l’accordéon. C’est à leur retour que ces Bretons ont diffusé ce nouveau répertoire qui connaîtra vite un succès fou.
Cependant, cette musique était difficilement jouable à l’accordéon diatonique, car celui-ci ne possédait pas toutes les notes nécessaires. C’est pourquoi, dès qu’ils en avaient les moyens, les accordéonistes troquaient leur diatonique pour passer au chromatique. Généralement, ces musiciens sont donc passés directement du diatonique « 2 rangs, 8 basses » au chromatique, qui a de 60 à 120 basses.
Comme nous l’explique Hyacinthe Guégan, jouer du diatonique avec d’autres instruments était très difficile, car ils n’étaient pas dans les mêmes tonalités, et ne pouvaient donc pas jouer ensemble. C’est pourquoi, lui et ses frères achetèrent un chromatique en 1935, afin de pouvoir animer les noces.
« Lors des noces, moi et mon frère accompagnions les mariés à l’église avec nos clarinettes. Puis avant de passer à table, on faisait la « dañs ar boked », la danse du bouquet, avant de jouer un bal fisel ou un bal fañch. Puis, les gens passaient à table et ce n’est que tard dans la soirée que notre orchestre se mettait en place pour commencer le bal. Nous débutions par une suite fisel, avant d’enchaîner sur des scottish, des polkas ou des mazurkas jusqu’à tard le soir ».
Il est donc important de comprendre que même si les nouvelles danses modernes étaient très appréciées, le répertoire local est resté ancré dans le Centre-Bretagne, contrairement à beaucoup d’autres régions où seul le répertoire musette était privilégié.
Ces nouvelles formations instrumentales composées généralement d’un accordéon chromatique, d’une batterie (ou jazz) et d’une clarinette ou d’un saxophone selon les cas, sont appelées jazz-bands et sont apparues au début des années 30. Très adaptées aux danses « musettes », elles étaient énormément demandées lors des noces ou lors du bal du dimanche. Une majeure partie des accordéonistes chromatiques ont ainsi formé leur propre jazz-band afin de pouvoir animer les bals.
Parmi eux, on peut citer Jean Huibant, de Kergloff (29). Il a commencé à animer très tôt ses premières noces au diatonique, puis il est passé à l’accordéon chromatique en 1938, pour jouer quelques années plus tard dans l’orchestre des Dragons Verts de Carhaix (29).
Même si certains accordéonistes comme Felix Guégan, Jean Huibant ou Lucien Riou restent des amateurs ayant une double activité, de plus en plus de musiciens deviennent de vrais professionnels afin de rentabiliser le coût très élevé de leur accordéon chromatique.
« L’Ideal Jazz », créé par le maître de la gavotte swing, Yves Menez, aura aussi eu un remarquable succès. Originaire de Scrignac, il réussit à mêler le style musette, qu’il acquit durant son séjour parisien, et le style des gavottes. Ainsi, il marie en toute liberté « la gavotte, le jazz et la java », en intégrant à ses gavottes de nombreux chromatismes et rythmes syncopés.
Beaucoup d’accordéonistes s’inspirèrent de ce talentueux musicien, comme Jean Coateval, originaire d’Huelgoat au coeur des Monts d’Arrée qui passa très vite à l’accordéon chromatique pour suivre des cours avec Yves Menez. « C’était une vedette, un caïd, un cador… c’était notre idole ! ». Jean Coateval jouera même dans l’orchestre de Menez au début des années 40 en tant qu’accordéoniste ou batteur.
Christophe Le Fur et Bertrand Tanguy. Comme l’illustre cette photo, il existe deux sortes principales d’accordéons chromatiques. Ceux aux touches piano, et ceux aux touches boutons, mais c’est surtout ces derniers que l’on retrouvait au centre-Bretagne.
Hyacinthe Guégan et son « treujenn-gaol ». Renommé dans le Pays Fisel comme sonneur de treujenn-gaol, son « véritable » instrument, mais beaucoup moins pour son doigté d’accordéoniste, qu’il maîtrise toujours très bien du haut de ses 80 ans ! C’est d’ailleurs lui qui m’a transmis cette passion de l’accordéon et m’a appris mon premier morceau..
Il faut noter que c’est très certainement grâce à l’accordéon que le répertoire Pourlet existe toujours.
En effet, durant l’entre-deux-guerres, beaucoup de sonneurs disparaissent, avec leur savoir et leur culture musicale. Mais avec l’essor de l’accordéon chromatique à cette époque, les accordéonistes, souvent accompagnés d’un saxophoniste, vont prendre la place de ces derniers, permettant ainsi de sauver ce répertoire virtuose. C’est pourquoi, il existe aujourd’hui deux « styles » de gavottes Pourlet : celui sonné au biniou-bombarde, et celui joué à l’accordéon, comme le faisait Job Hinguant dit « Jobica » de Séglien (ci-contre en photo), ou encore André Le Maguet de Silfiac (56).
La période de la Seconde Guerre Mondiale
La Seconde Guerre Mondiale et l’invasion allemande vont bien entendu réduire considérablement l’activité des musiciens. Durant cette période de l’Occupation, tous rassemblements étaient interdits. Mais cela n’empêchera pas la jeunesse d’organiser ses propres bals de façon plus ou moins clandestine.
III. De l’après-guerre à nos jours : de l’opposition au renouveau
L’accordéon a toujours eu des détracteurs :
- Le clergé d’abord, qui reproche à la «bouest an diaoul» d’avoir amené avec elle les danses «kof ha kof». Certains prêtres iront même jusqu’à l’excommunication !
- Les sonneurs de couple, qui voyaient là un sérieux concurrent, mais beaucoup s’y mettront par la suite...
- Les «puristes», qui déniaient à l’instrument sa qualité de breton.
Après guerre, l’instrument sera surtout utilisé dans les orchestres musette. Il faudra attendre les années 1970 pour qu’il réapparaisse dans la musique «celtique».