Fiche thématique

Les Soeurs Goadec : " Il faudra leur dire "

Ce dossier a été réalisé par Nolwenn Peuron du cercle Brug ar Menez de Spézet dans le cadre de sa présentation au titre de Reine de Cornouaille 2016 à Quimper. Nolwenn fut élue à ce titre le 24 juillet 2016.

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Introduction

« Petite, dans son radio cassette, c’était les soeurs Goadec ou rien ». C’est ainsi que mes parents racontent cette anecdote me concernant.

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Eugénie, Tanon et Tasie - Collection Cathy Goubil

Aujourd’hui, à travers différents témoignages et recherches documentaires, j’ai choisi d’en découvrir davantage sur ces femmes, emblèmes de la culture bretonne. Lors de plusieurs rencontres, j’ai appris petit à petit à les connaître et à les faire vivre. Cathy Goubil, petite-fille d’Anastasie, la benjamine du trio bien connu des soeurs Goadec, m’a confié ceci :
« Quand les gens venaient la (1) voir, elle disait ‘’ Il faudra raconter comme on a dit ‘’ et c’est un truc que j’ai gardé. Quand je vais écouter des gens me raconter leur vie, même quand je l’écris, je garde les phrases qui m’ont été dites. Je n’interprète jamais. Il ne faut jamais interpréter un collectage, il faut le recevoir comme il t’a été donné, avec l’émotion, le recul, les années, l’expérience. »

Tout naturellement, les divers témoignages et récits que j’ai eu la chance de collecter seront exposés ici dans leur forme originale et exacte afin de respecter la volonté première des soeurs Goadec.
Dans une première partie, nous découvrirons leur parcours de Treffrin à Bobino. Ensuite, nous nous attarderons sur l’expression qu’elles aimaient beaucoup : « Il faudra leur dire ». Ceci était le symbole de leur envie de transmettre aux jeunes générations, leurs savoirs en termes de tradition chantée. De plus, nous découvrirons ce qu’elles aimaient le plus, transmettre leurs valeurs et s’attacher à ce que la tradition soit perpétuée.

(1) Référence à sa grand-mère, Anastasie

Sommaire

Introduction
De Treffrin à Bobino
1 - Portraits de légendes
2 - Passion de génération en génération
3 - L’appel d’Albert Trévidic
4 - Le fest-noz emblématique de Châteauneuf
5 - L’ascension parisienne
6 - La fin du trio
7 - De nombreux hommages
Il faudra leur dire
8 - Transmission aux jeunes générations
9 - Transmission de leur parcours, de leur culture, de leurs valeurs
Conclusion
Remerciements
Bibliographie
Annexe 1 : Arbre Généalogique
Annexe 2 : « Gavotenn an aeled »

De Treffrin à Bobino

1 - Portraits de légendes

Le trio des soeurs Goadec était composé de chanteuses dont la popularité s’accroît autour des années 1960-1970.
Leur père, Jean-Louis, également sacristain à l’église de Treffrin, tenait un bar avec sa femme, Victorine. Ils ont eu douze enfants dont cinq filles : Tanon (Maryvonne), Augustine, Louise, Tasie (Anastasie) et Marie-Eugénie, appelée Tanie (2).
Tanon, Tasie et Eugénie ont formé le trio bien connu des soeurs Goadec. Toutes les trois étaient des femmes avec de fortes personnalités. Néanmoins, Yann Fanch Kemener se rappelle que : « C’était trois caractères complètement différents, je ne sais pas comment fonctionnait cette triangulation-là. » Tanon était plus discrète que ses deux soeurs. Tasie et Eugénie étaient sans doute plus directes, elles faisaient savoir plus facilement si quelque chose n’allait pas. Et pourtant, quand nous écoutons un chant des soeurs Goadec, il est évident de remarquer un unisson parfait démonstratif d’une complicité.

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Tanon, née en 1900, est l’aînée des filles. Bonne chanteuse, elle était régulièrement sollicitée. Lors d’une interview réalisée suite à la parution d’un trente-trois tours, elle confiait : « Mes parents avaient un café-épicerie et le samedi soir, les jeunes arrivaient. Qui va chanter une danse ? disaient-ils. Je me défendais et montais en haut de l’escalier. Les garçons insistaient alors je chantais. »
Par la suite, elle s’est mariée à Jean-Louis L’Hôpital. Ils se sont installés dans le village de Tachen ar Groaz en Treffrin, entre Carhaix et Maël-Carhaix. Lui était bourrelier tandis qu’elle tenait un bar. Huguette Thos, la fille d’Anastasie, se souvient : « Ma tante, elle, lisait (3). […] Mon oncle était bourrelier, donc elle l’aidait, c’était elle qui faisait la couture des colliers et tout ça pour les chevaux. ».

 

Tanon - Collection Cathy Goubil

( 2) En annexe, l’arbre généalogique de la famille Goadec
(3) La lecture était une passion pour Tanon

Eugénie a vu le jour en 1909. Mariée à Joseph Ebrel, elle a enchaîné plusieurs métiers. Tenant une ferme à deux reprises, elle a aussi été lingère et travaillé au pont bascule à Carhaix.
Régulièrement, elle se posait sur les bancs des matchs de rugby, toujours avec sa coiffe, et faisait ses petits commentaires.
Supportrice fidèle, Eugénie avait le droit à la bise de chacun des joueurs. Ces derniers se souviennent d’une rencontre entre le club de Carhaix et de Loudéac. Un rugbyman de cette dernière équipe avait plaqué un peu fort le petit-fils d’Eugénie, Jacquot (référence à Jacques Cloarec), membre de l’équipe carhaisienne. D’après les autres joueurs, Tanie n’avait pas caché sa colère et l’avait fait savoir au joueur en question.

Eugénie - Collection Cathy Goubil
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Anastasie est arrivée en 1913. Surnommée Tasie par ses neveux et nièces, elle se passionnait pour les fleurs, les plantes et le jardinage en général. Avec son mari, Louis Le Bras, ils étaient cultivateurs à Treffrin.
Très proche de sa famille, Huguette, leur fille, se souvient que sa mère faisait tout son possible pour faire plaisir à tout le monde : « Elle n’était jamais prise de court, peu importe l’heure, on pouvait arriver l’après-midi, le soir, on avait un pot-au-feu. »

Anastasie - Collection Cathy Goubil

Pour terminer, intéressons-nous à Augustine et Louise.
Augustine s’est mariée à Pierre Gouesnou en 1931 lors du triple mariage qui avait eu lieu dans la famille Goadec. Il regroupait les mariages d’Eugénie, René et Augustine. Quant à Louise, née en juin 1903, elle s’est mariée en 1926 à Treffrin.
Animant à deux reprises un fest-noz avec leurs soeurs, elles décèdent toutes les deux très jeunes, en 1964.

2 - Passion de génération en génération

« Avant de monter sur le podium, on chantait avec notre famille, avec nos voisins aux denadeg (4), avec les paysans pour terminer la journée de labeur, à l’église quand on nous le demandait. On chantait les chants appris sur feuille volante par notre grande soeur et un des frères. Même quand on a commencé les festou-noz, on apprenait encore les chants comme la plinn, fisel (5) on aimait chanter pour rendre les gens heureux. Avant tout le monde savait chanter et danser, c’était comme ça. Avant c’était une évidence, on n’allait pas en cours pour savoir danser ou chanter, on l’avait inculqué avec la langue, la terre, le travail, la foi : transmission directe par sa communauté, son groupe social. Elles (6) étaient partie intégrante d’une communauté paysanne, pas des personnes détachées de cette communauté. Mémère (7) et ses soeurs bondissaient ou se fâchaient des journalistes quand ils leurs disaient qu’elles étaient des vedettes… pas question qu’on les mette à part de leur groupe social. », Cathy Goubil. Cette citation introduit le fait que les soeurs Goadec ont toujours chanté naturellement. En effet, Louise Ebrel, la fille d’Eugénie affirme : « Elles n’ont jamais appris à faire ça, c’était naturel. »

Elles ont toujours considéré le chant comme un don, et pourtant, ce n’est pas un hasard si les soeurs Goadec ont eu un succès important. La famille Goadec et notamment le père, Jean-Louis, était déjà connu comme un très bon chanteur. Il lui arrivait d’animer des mariages. Certaines personnes de Carhaix venaient à la messe de Treffrin pour entendre Jean-Louis Goadec, puis ses filles par la suite. C’est à l’église que les soeurs Goadec ont commencé, en chantant des cantiques et mélodies. Puis elles ont appris les chants à danser, issus du répertoire de leur père et de leurs grands-frères, pour la plupart. La transmission se faisait beaucoup par l’écoute. Ainsi, déjà connues d’un grand nombre, la relance des fest-noz n’a fait qu’accroître la popularité de ce trio de chanteuses. Leur seul nom sur l’affiche assurait une fréquentation importante.

(4) Terme utilisé pour englober l’ensemble des grands travaux de la ferme comme l’arrachage de pommes de terre, de betteraves, etc.
(5) Les soeurs Goadec parlaient de la danse plinn, la danse fisel, elles ne mettaient jamais ces mots au masculin
(6) Référence aux soeurs Goadec
(7) Pour désigner sa grand-mère, Cathy Goubil utilise les surnoms « Mémère » ou « Mamm Gozh »

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Victorine Goadec - Collection Cathy Goubil
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Jean-Louis Goadec - Collection Cathy Goubil

3 - L’appel d’Albert Trévidic

Le 25 août 1957, le pardon de Saint-Louis à Treffrin se déroulait comme à son habitude. Huguette nous raconte cette journée :
« Il y avait la fête à Treffrin et il y avait Albert Trévidic (8). Il y avait beaucoup de gens de Carhaix qui venaient : il y avait des courses à pied, à vélo, la décapitation du coq… c’était la fête communale. Ça se faisait à la Saint-Louis, le dernier week-end d’août.
Le fils de ma tante devait jouer de l’accordéon, pour la danse au mouchoir. Ce jour-là, il ne pouvait pas, il était malade.
M. Treussard, le maire de Treffrin, a donc demandé à ma mère de venir chanter la danse au mouchoir ou au tabac.
Ma mère a dit : ‘’ Je ne peux pas chanter toute seule, je vais voir ma soeur parce que c’est Tanon l’aînée ’’. Elles ont chanté toutes les deux et M. Treussard leur a demandé : ‘’ Vous ne pouvez pas rester un peu ce soir ? On va vous donner un casse-croute.’’ Le soir ça a fini presque en fest-noz alors qu’il y avait des accordéonistes, mais ils ne pouvaient pour ainsi dire pas jouer.
C’est comme ça que ça a commencé :il y avait Albert Trévidic. Il les avait déjà entendues chanter, mais des cantiques, pas du chant à danser. Et il leur a demandé : ‘’ moi j’ai des problèmes avec mes sonneurs, vous ne voulez pas venir au cercle de Carhaix comme ça on n’aura plus de problème parce qu’eux ils font la fête le samedi soir et le dimanche… tandis que les soeurs Goadec, au moins, je serai tranquille’’. Ma mère et ma tante Maryvonne sont parties au cercle de Carhaix et ma tante Eugénie ne les a rejointes que deux ou trois ans après. »

(8) Albert Trévidic était le président du cercle celtique Ahès de Carhaix

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Avec le cercle de Carhaix, les soeurs Goadec ont effectué de nombreuses prestations. En juin 1960, les soeurs Goadec l’ont accompagné à Poissy et c’est grâce à cet évènement qu’elles ont fait la connaissance de Donatien Laurent. Ce dernier les a beaucoup collectées et a permis de faire perdurer leur mémoire encore aujourd’hui.

Les soeurs Goadec, en sortie avec le cercle de Carhaix, à Tréguier - Collection Cathy Goubil

Pour les trois soeurs, les sorties avec le cercle étaient aussi l’occasion de se mettre en costume de cérémonie, avec leurs coiffes et cols brodés, leurs tabliers perlés. En effet, la plupart du temps, elles animaient les fest-noz en blouse de coton noir sur laquelle elle mettait un tablier noir satiné et un petit châle. Elles portaient également une coiffe en tulle non brodée, de tous les jours.

4 - Le fest-noz emblématique de Châteauneuf

Un des festou-noz emblématiques animé par les soeurs Goadec s’est déroulé en 1959 à la salle Prigent de Châteauneuf, aujourd’hui devenue salle Roz Aon. En effet, Georges Le Meur a invité Louise Bournot, née Goadec, à venir chanter. Tout comme Tasie pour le pardon de la Saint-Louis, elle a accepté à condition que ses soeurs viennent aussi. Ce fest-noz était un moment particulier pour les Soeurs Goadec, c’est une des seules fois où elles ont pu se produire toutes les cinq. En effet, Augustine et Louise, décédées jeunes, n’ont pas pu accompagner leurs trois autres soeurs.

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Eugénie, Augustine, Tanon, Tasie et Louise lors du fest-noz de Châteauneuf
Collection Cathy Goubil

Yann Le Meur se souvient : «Elles prennent leurs places en silence, n’accordent pas leur voix, ne se concertent pas sur ce qu’elles vont faire. Tout d’un coup, Tasie entonne Gwerz ar Ranned Les quatre autres femmes modulant leur expression d’une manière admirable, de surcroît complètement homogène, répondent sur le diskan avec un unisson époustouflant. […] L’assistance est fascinée. […] La gwerz s’achève. Un tonnerre d’applaudissements retentit. Les soeurs Goadec partent dans la gavotte. C’est terrible. » (9)

(9) Citation extraite de Sonneur, Yann Le Meur, Coop Breizh, 2002

5 - L’ascension parisienne

Les festou-noz s’enchaînent et elles rencontrent de nombreux admirateurs de leur talent. Par exemple, lors de la fête du cercle de Poissy en 1966, elles font la connaissance d’Alan Stivell. En 1972, ce dernier accède à la scène de l’Olympia et permet au trio Goadec d’accroître leur popularité. Ils produisent ensemble Eliz Iza : les soeurs Goadec au chant et Alan Stivell à la harpe.
En 1973, trois soirs de suite, Tanon, Tasie et Eugénie remplissent la salle de Bobino. Elles chantent en costume avec leurs coiffes et cols brodés, fières de leur culture et de leur pays.

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Les trois soeurs lors de leur passage à Bobino - Collection Cathy Goubil

A la suite de leur passage dans cette grande salle parisienne, un disque voit le jour. Lorsque Louise Ebrel, la fille d’Eugénie, réécoute une de ces chansons, sa première réaction est la suivante : « On va entendre la chaussure aussi et ça bougera pas. Ma mère et mes tantes avaient toutes les trois un métronome dans la tête. »
Du même avis, Huguette, la fille d’Anastasie, évoque la particularité du chant de sa mère et de ses tantes : « Peut-être le rythme parce qu’elles dansaient déjà, donc quand on danse c’est plus facile de chanter. Parfois, ma tante Eugénie engueulait les sonneurs et leur disait : on ne peut pas danser, apprenez à danser comme ça vous saurez quel rythme il faut prendre. »
Sur la scène de Bobino, Tanon raconte : « Le directeur m’a envoyé une belle gerbe de fleurs. Elle était si grande que je ne pouvais pas la porter. Alors je l’ai laissé. »
Les Frères Morvan, qui ont côtoyé les soeurs Goadec dans les festou-noz notamment, évoquent le souvenir de Bobino pour Tanon, Tasie et Tanie : « Je ne sais même pas si elles étaient vraiment satisfaites d’avoir été à Paris, il y a eu des pour parler après. Elles n’étaient pas déçues, elles n’ont pas trop aimé les journalistes qui lançaient des pics, elles n’ont jamais dit ‘’quand on a été à Bobino… ‘’. Elles sont restées secrètes, ça voulait dire un peu aussi qu’elles n’étaient pas tout à fait à l’aise. »
En effet, lorsqu’Eugénie raconte Bobino, elle évoque « un mauvais souvenir. Il y avait toutes les lumières braquées sur nous. On ne voyait pas le public. Bobino, ce fut encore pire que la Mutualité (10). Vous comprenez, nous, nous aimions chanter et faire danser les gens, pas nous montrer. Là, il n’y avait aucun contact avec le public. »

(10) Les soeurs Goadec ont également chanté dans cette grande salle parisienne, en 1972


Malgré toute la médiatisation autour de cet évènement parisien, elles sont restées des femmes simples et naturelles.

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C’est cette image, de ces femmes originaires du Centre-Bretagne, qui restent dans les mémoires de tous. « Dans leurs habitudes, rien n’avait changé. Ce succès-là ne leur est pas monté à la tête. » Albert Trévidic.
Yann-Fanch Kemener illustre ce propos : « Je les vois aussi parce que j’ai des images d’elles très fortes, elles allaient toujours avec leur coiffe, toujours des coiffes bien mises, bien propres. »
Toujours restées simples, les soeurs Goadec ne demandaient pas de contrepartie financière, elles demandaient seulement que quelqu’un vienne les chercher, les ramène et un casse-croûte sur place. De même, les frères Morvan disaient : « Donnez aux autres d’abord, on prendra le reste », c’était une façon de dire qu’ils n’imposaient pas de prix.

Tasie profitant de ses petits-enfants - Collection Cathy Goubil

6 -La fin du trio

En 1983, le décès de Maryvonne met fin au trio.
Eugénie et Tasie chantent après dix ans d’interruption lors du fest noz vraz à la salle des fêtes de Spézet. Lorsque Tanie a évoqué cette soirée, elle s’est exprimée ainsi : « C’était formidable. Tasie ne marche plus. Nous étions assises toutes les deux et nous avons chanté. C’étaient des retrouvailles émouvantes. La moitié de la salle est restée là, devant, à nous regarder. Comme dans le temps. »
Eugénie, remonte également sur scène avec sa fille, Louise Ebrel, pour fêter ses 85 ans, en 1994. En 1997, elles se produisent toutes les deux sur scène pour les 25 ans de scène de Yann-Fanch Kemener. Lors de cette occasion, l’histoire raconte qu’Eugénie s’est un peu perdue dans le texte du chant et n’a pu s’empêcher de rire de son erreur.
C’est en 1998 qu’Anastasie décède à son tour. Eugénie rejoint ses soeurs en 2003. En rentrant des obsèques d’Eugénie, Denez Prigent écrit une chanson pour Louise Ebrel. Ce chant est intitulé Gavotenn an aeled ou Gavotte des anges. Cette histoire raconte la tristesse et le renouveau du trio des soeurs Goadec grâce aux nombreuses transmissions qu’elles ont effectuées. Denez Prigent les imagine danser et chanter ensemble maintenant qu’elles sont de nouveaux réunies. Ces paroles très fortes font ressentir une émotion palpable ne serait-ce qu’à l’écoute de ce chant. (11)

(11) Le texte de ce chant est joint dans la seconde annexe

7 - De nombreux hommages

Partout en Bretagne, de nombreux hommages leur ont été rendus. Tout d’abord, en 1995, la Kevrenn Alré organise une soirée en l’honneur des soeurs Goadec.

http://www.dailymotion.com

Capture d'écran - Kevrenn Alre
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Roland Becker, directeur musical de la Kevrenn Alré, compose une suite musicale en hommage aux soeurs Goadec. De plus, le bagad interprète un de leurs chants, Gousperoù ar raned. Tasie et Eugénie sont présentes et chantent également à leur tour, faisant danser le cercle celtique. Ce fut un souvenir mémorable pour tous les membres de l’ensemble celtique d’Auray, qui aujourd’hui encore pensent souvent aux soeurs Goadec grâce à leurs portraits affichés sur les murs des salles de répétition (12).

(12) Lien vidéo : http://www.dailymotion.com/video/x5xriq_hommage-aux-soeurs-goadec_music

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Tasie entourée de ses proches lors de l’hommage fait par la Kevrenn Alré
Collection Cathy Goubil

Parmi les nombreuses actions faites en leur honneur, nous pouvons également mentionner les statues des soeurs Goadec, exposées place du Champ de Foire à Carhaix-Plouguer. L’artiste Annick Le Roy, sculpteur de Rennes, qui les a réalisées, a effectué un grand travail de collectage sur leurs apparences physiques et leurs postures favorites respectives. Il est nécessaire de le saluer. En effet, chacune des trois soeurs est représentée telle qu’elle chantait autrefois. Tanie qui avait une jambe plus courte que l’autre, pliait toujours un peu son genou. Tasie quant à elle avait mal au dos, c’est pour cela qu’elle pose ses mains sur ses hanches. Enfin, Tanon, un peu plus en avant, gardait surtout une posture agréable pour chanter. La ressemblance évidente entre les personnes physiques et les statues a même ému la fille d’une d’entre elle, Huguette : « Quand j’ai vu ça, j’ai presque pleuré »

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Eugénie, Tanon et Tasie
http://www.ville-carhaix.bzh/

Il faudra leur dire

Très attachées à la transmission et la pérennisation de la culture bretonne grâce aux jeunes générations, elles n’hésitaient pas à partager leur culture, leurs valeurs et bien sûr, leur répertoire. Cathy raconte : « Mémère elle répétait aux gens, à Alan13, comme aux autres : ‘’Et tu dis comme je dis’’. Et parfois, Alan chantait avec elles et il leur disait quelques fois : ‘’ah oui mais ce mot là en breton, il se dit comme ça’’ et mémère lui répondait : ‘’ah mais tu dis comme je dis, tu répètes comme je répète.’’ »

C’est en respectant leur volonté de ne pas reformuler et réinterpréter les collectages que nous allons aborder cette seconde partie. Comment la transmission s’est-elle effectuée, et qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

« Il faudra leur dire », était une expression que les soeurs Goadec affectionnaient particulièrement, comme beaucoup d’autres chanteurs et musiciens. Elles acceptaient d’être collectées et de transmettre leurs savoirs pour perpétuer les traditions. Cependant, elles attachaient une grande importance à ce que les propos ne soient pas transformés et soient retransmis fidèlement.

8 - Transmission aux jeunes générations

Yann-Fanch Kemener se souvient encore de sa première rencontre avec le trio des soeurs Goadec : « J’avais trouvé des jupons à me mettre dedans et c’était les trois soeurs Goadec, je les avais entendues un peu. On les entendait quelques fois par les émissions de radio, comme radio Quimerc'h donc ça je me rappelle de les avoir entendues mais je dirai que les Goadec pour moi, ça a été, et le terme n’est pas trop fort, une révélation. C’est de l’ordre de la révélation, au sens mystique du terme. […] Et je me rappelle, j’ai fait une année d’études à Guingamp et j’ai écrit à Tanon. Malheureusement je n’ai pas gardé la lettre, je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Dans cette lettre, je lui demandais de m’apprendre une chanson, je voulais un texte où je ne sais pas quoi. Elle m’a gentiment répondu en me disant qu’elle ne savait pas écrire le breton. »
Louise Ebrel évoque également cette envie de transmission aux jeunes générations : « Elles rigolaient avec la jeunesse. Elles ont rencontré beaucoup de monde. »

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Les soeurs Goadec avec Alan Stivell
http://www.bretagne-musik.de/

L’engouement des jeunes générations à leur égard était notamment dû à leur manière de chanter et à leur répertoire varié. Et pourtant, leur répertoire ne s’étendait pas sur un grand territoire. En effet, les Frères Morvan nous racontent : « Les soeurs Goadec, c’était la gavotte, pendant trois ou quatre ans, elles ne chantaient que de la gavotte et après, suivant la valse du temps et l’extension des festou-noz, elles ont chanté autre chose aussi. Nous, on a chanté ce qu’on chantait avant la guerre, on chantait la gavotte, le plinn, le fisel, plus le plinn, c’est plutôt le plinn ici. Chacun chantait les danses de son terroir. »

Beaucoup les admiraient pour le parcours qu’elles accomplissaient et notamment Donatien Laurent qui les évoque ainsi : « Depuis que je les ai connues, vers 1960, je n’ai cessé de les admirer et de reconnaitre en elles des dépositaires de mélodies et d’un style vocal perdu par beaucoup de chanteurs traditionnels même âgés. »
Néanmoins, leur répertoire ne se composait pas seulement de chants à danser et c’est aussi cet aspect qui plaisait : « Dans les veillées, quand on était gamin, ma grand-mère, elle ne chantait pas que du plinn ou des gavottes, elle chantait des histoires, des gwerziou ou des chants à raconter. », Cathy Goubil.

Huguette rajoute : « Ma mère chantait aussi des chansons en français, toutes mes chansons d’école et tout ça je lui apprenais. Elles ont toujours appris à l’écoute mais une fois ça suffisait, il n’y avait pas besoin de dire deux fois. Quand on rentrait de l’école, une heure pour faire les devoirs et on récitait. Et puis moi j’étais assez dissipée à l’école, même si j’étais première tout le temps. […] C’est-à-dire que j’apprenais quand même assez vite, j’enregistrai tout de suite. Mon travail était fini et souvent je me faisais attraper par les autres parce qu’on me disait : ‘’Hey Huguette, toi tu as trouvé ? Qu’est-ce que tu as trouvé ? Comment on fait ci ? Et ça ?’’ Alors moi je disais. Je me faisais attraper souvent mais j’aimais bien. La preuve que la transmission, j’aimais bien, moi je disais aux autres, ça ne me gênait pas, moi je savais, elles ne savaient pas ? Moi je disais. Si ce n’est pas ça tant pis pour vous. Je disais facilement les résultats que j’avais. Je crois que c’est parce que c’est ce qu’on m’a appris. »

9 - Transmission de leur parcours, de leur culture, de leurs valeurs

Plus que leur répertoire et leur manière de chanter, elles ont transmis, notamment à leur famille, des valeurs qui sont toujours respectées aujourd’hui. Entre Cathy, Huguette et Louise, nous allons découvrir plusieurs histoires et anecdotes.

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Commençons par Louise Ebrel, fille d’Eugénie, lorsqu’elle fait appel à ses souvenirs de vacances chez sa tante :
« Je passais les vacances chez Tante Tanon, parce que son mari c’était mon parrain. C’est elle qui menait, qui connaissait tout, […] Je me rappelle, elle avait un bar un bistrot. Pour monter pour aller aux chambres, il fallait que je dise bonsoir aux gens qui étaient là. Le matin, je ne disais pas bonjour à mon parrain qui était à l’intérieur tant que je n’avais pas bu mon café et fait ma toilette. Elles m’ont transmis des valeurs surtout. »

Louise Ebrel
http://www.agendaculturel.fr

Ensuite, écoutons Huguette Thos : « Ma mère disait tout le temps : ‘’Tu fais bien ce que tu fais parce que si tu ne fais pas bien, tu vas recommencer alors autant bien faire, tu t’appliques, tu fais bien, parce que sinon tu recommenceras.’’

On ne disait pas non à notre mère, moi ma mère, elle est décédée à quatre-vingt-cinq ans mais je crois que je ne lui ai jamais dit non. »

Huguette Thos et sa petite-fille, Gwladys devant les statues des soeurs Goadec, exposées à la mairie de Carhaix-Plouguer.
http://www.ouest-france.fr/bretagne
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Enfin, partageons les émotions de Cathy Goubil, la petite-fille d’Anastasie et sans nul doute la plus bavarde :

« Un jour, on était petit, c’était sûrement le mois de juillet parce qu’on devait biner les betteraves, donc il y avait tous les petits enfants. Chacun avait sa binette, manche long, manche court selon l’âge et tout le monde devait aller travailler au champ. Et arrivent à la ferme des jeunes pour venir enregistrer et apprendre des trucs auprès de Mamm Gozh. Mémère leur dit : « eh ici, il reste des binettes, vous prenez les binettes et vous venez avec nous au champ », des parisiens, qui faisaient des études en ethnologie… ils sont venus au champ et ma grand-mère leur a dit : ‘’ah et maintenant vous allez savoir qu’est-ce que c’est d’aller chanter après une journée ou d’aller raconter une histoire au repas de partage ou denadeg comme ça vous allez savoir qu’est-ce que c’est un denadeg.’’ […] Elles ont transmis aussi des valeurs de leur quotidien par rapport à comment elles ont été élevées.

Un deux novembre, Tanie me demande d’aller à la fest noz (14) à Spézet, écouter les Diaouled Ar Menez, parce qu’elle était raide dingue de p’tit Corre (15), elle me demande et moi, assez bête, ben oui on va aller. Je n’avais pas réfléchi. Je ne dis rien à ma grand-mère. J’emmène Tanie à la fest-noz, on s’est bien amusées. Ah oui, mais le lendemain, quand j’ai été voir Mamm Gozh et que je lui ai dit : ah ben c’était bien hier. Tu as le bonjour d’untel et untel, p’tit Corre, etc. Et là mémère me répond : où tu as été hier ? Au fest-noz avec ma soeur ? Mais celle-là est dingue, on ne va pas au fest-noz le jour de la fête des morts.

Mémère faisait toujours une part en plus quand elle faisait un repas, la part du pauvre parce qu’il faut faire montre de charité si quelqu’un arrivait. Quand je me suis mariée, elle m’a dit : ‘’ il faut que tu ailles envoyer un repas à un pauvre’’. Pourquoi mémère ? ‘’Parce que sinon tu ne seras pas heureuse. Tu trouves un pauvre et tu te marieras un mardi pour que tu sois sous la protection de la vierge’’. Donc je me suis mariée un mardi, j’ai donné un repas à un pauvre et quand je fais à manger, il y a toujours une part en plus. C’est des trucs qui me sont restés. […] Dans mon quotidien, il n’y a pas un jour où je ne parle pas d’elles. Mémère avait dit…, mémère faisait…, mémère disait…, c’est la transmission de leur vie, de leur jardinage, de la religion, du costume. »

( 14) Tout comme la danse plinn, par exemple, elles ne parlaient jamais de « fest-noz » au masculin
(15) Jean-Yves Le Corre

Conclusion

« Aujourd’hui, encore, je pense souvent à elles, je les entends encore et je les vois encore et ça m’aide beaucoup notamment dans ma pratique de chanteur quand je vais quelque part. Avec d’autres personnes encore, elles ont été fondatrices de ma culture mais aussi de ma personnalité. Je ne peux parler que pour moi, de mon expérience. Et c’est ce qui m’inscrit dans une histoire, quand je parle de filiation, c’est ça. Ma filiation elle est là, elle n’est pas que sanguine ou familiale, pour moi ce sont mes pairs, c’est l’image que j’ai de ces gens-là, de cette génération.
Une fois, je me rappelle, ça c’était pour moi le compliment. Je chantais déjà un petit peu et évidemment quand on vient s’exprimer, on est tout fier de ce qu’on a fait. Je me rappelle, on était à un fest-noz à Saint-Gilles Vieux Marché et elles étaient toutes les trois-là, rangées, c’était dans la cour de l’école, c’était encore en été. J’ai chanté avec Eric et puis en sortant, enfin en descendant, Tanon me dit : ‘’Te ouia ar mod da ganan’’ (16). », Yann Fanch Kemener
Les soeurs Goadec, à travers leurs chants et leur souhait de faire perdurer la culture du chant, ont transmis nombre de valeurs et de symboles. Toutes les rencontres m’ont permis de découvrir les soeurs Goadec, leurs tempéraments et leur motivation à transmettre. Ce que j’en retiens est que l’important n’est pas de faire une démonstration de notre talent mais de partager un moment de plaisir avec les gens. Et j’ai encore tant d’aspects à découvrir…

(16) « Tu sais la manière de chanter »

Remerciements

Je tiens tout d’abord à remercier le cercle Brug Ar Menez de Spézet et tous mes proches pour le soutien qu’ils m’ont apporté.
Je remercie également Cathy Goubil, Huguette Thos, Louise Ebrel, Les Frères Morvan et Yann-Fanch Kemener pour le temps qu’ils m’ont accordé pour me transmettre leur savoir et partager leurs souvenirs.

Bibliographie

Collectages personnels :
 Cathy Goubil, petite-fille d’Anastasie
 Huguette Thos, fille d’Anastasie
 Louise Ebrel, fille d’Eugénie
 Les Frères Morvan

Collectage réalisé par Cathy Goubil :
 Yann-Fanch Kemener

Les soeurs Goadec – Chanteuses du Centre-Bretagne / Collection Grands Interprètes de Bretagne (N°5) / Coop Breizh - Dastum / Octobre 2012

Kan ha diskan – Mélodies / Louise Ebrel et Ifig Flatres / Coop Breizh

Odoo CMS - a big picture
Annexe 1 : Arbre Généalogique
Ar glav a bil ha ne baouez
Neñvou va bro ‘skuilh e enkrez
Ar glas a son ha ne ehan
Hag an avel yud a ziskan

Eugénie gozh a zo marvet
Ne gano ket ken ar stered

An avel bremañ da greskiñ
Hag an neñvoù holl da c’hlaziñ
‘Klevan ur vouezh ha div ha teir
Petra ‘ta a c’hoarvezh en nec’h ?

‘Klevan ur pas ha daou ha tri
Ha dek, kant mil da guruniñ

Ha dek, kant mil da guruniñ
Petra en neñv ‘zo o c’hoari ?

Adkavet eo ar c’hoarezed
Ha setu ar Fest-Noz lañset !

Ha setu ar Fest-Noz lañset !
« Tan dezhi ! Gavotenn an aeled ! »
Composition paroles et musique de Denez Prigent
Annexe 2 : « Gavotenn an aeled »