INTRODUCTION
« Vers la fin des écoles rurales ? » s’interrogeait Le Monde en août 2016. Aujourd’hui, 26 % du territoire français se distinguent, outre la faible densité de population, par le vieillissement, l’enclavement, les faibles ressources financières, le manque d’équipements et de services, le manque de perspectives, la difficulté à faire aboutir l’initiative publique ou privée, l’éloignement et l’isolement sous toutes ses formes(1). Ce constat pessimiste peut tout à fait s’appliquer au Centre-Bretagne, certes marqué par une activité agricole intense, mais où le désengagement progressif des services publics, notamment dans le domaine scolaire, est une question sensible. Aussi, depuis les années 1970, et en lien avec la décroissance démographique, le nombre de classes voire d’écoles est en constante diminution dans l’actuel canton de Rostrenen(2) ; la fermeture de l’école de Bothoa en 1977 ne constituait alors que l’une des étapes de ce long processus.
En 1991, un petit groupe de bénévoles décide d’agir pour sauvegarder le patrimoine architectural et culturel des anciens bâtiments scolaires de Bothoa ; le Musée rural de l’éducation voit ainsi le jour en 1994.
Comment, en à peine un siècle, l’école de Botha est-elle devenue un centre muséographique important de l’histoire de l’éducation ? Aussi, le Pélem et l’école au XIXe siècle, la naissance d’un musée, devenu progressivement centre de préservation, de documentation et d’éducation : tels seront les trois points que nous étudierons successivement.
(1) Extrait du rapport parlementaire sur l’hyper-ruralité, juillet 2014 : http://territoires.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_a_bertrand_vdef.pdf
(2) Selon le découpage de 2015. Il existait auparavant le canton de St-Nicolas du Pélem.
1. LE PELEM ET L’ECOLE AU XIXE SIECLE
1.1 La difficile scolarisation des enfants pélémois
L’on retient communément les lois Ferry (1881-1883) comme les lois fondatrices de l’école en France, par la mise en place notamment de l’obligation de scolariser les enfants âgés de 6 à 13 ans, ainsi que la gratuité de l’enseignement primaire par la loi du 16 juin 1881. Pour autant, d’autres lois préexistent, telle que la loi Guizot de 1833 qui prévoyait déjà que seraient admis gratuitement les élèves dont il aurait été reconnu que les familles étaient hors d'état de payer la scolarisation de leurs enfants. La loi Falloux du 15 mars 1850 accorde à toute commune la faculté d'entretenir une ou plusieurs écoles entièrement gratuites, à condition d'y subvenir grâce aux ressources uniquement communales. Quant à la loi du 10 avril 1867 sur l'enseignement primaire, elle permet aux communes d'établir la gratuité absolue de l’école en les autorisant à lever dans ce but un impôt de 4 centimes additionnels ; elle crée ainsi une caisse des écoles destinée à faciliter et à encourager la fréquentation de l'école. Tout cela explique la croissance régulière de la population scolaire pour les écoles primaires et maternelles publiques ou privées en France : 2 millions d'enfants scolarisés en 1830, 3,5 millions en 1848 et 5,6 millions en 1880. Pour l'année 1878-1879, la répartition était de 2 166 976 élèves payants et 2 702 111 gratuits(3).
En Centre-Bretagne, les taux de scolarisation des enfants ont longtemps été insuffisants au vu des attentes de ces différentes lois. Si les premiers établissements voient le jour dans la première moitié du XIXe siècle, leur activité est rarement pérenne. Ainsi, il faut remonter à 1826 pour trouver la trace d'un premier enseignement au Pélem. Le premier établissement scolaire se trouvait au manoir de Keruel, en direction de Corlay. C'est Marie-Jeanne Alleno, nièce d'un ancien curé de Bothoa, qui se chargeait de donner des cours de catéchisme aux enfants, mais aussi de tricot et de couture, alors même qu'elle ne savait pas écrire. Les plus grands enseignaient l'écriture aux plus jeunes. C’est en 1829 que le frère Augustin devint le premier instituteur de Saint-Nicolas-Du-Pélem. Pour autant, investir dans un bâtiment scolaire reste impensable et les premiers cours ont lieu dans une petite maison du bourg ne pouvant accueillir qu’un nombre restreint d’élèves. Notons que la commune de Saint-Nicolas-du- Pélem est l’une des dernières du canton à ne pas disposer de bâtiments destinés à l’éducation des enfants. Il faut attendre quatre années supplémentaires pour qu’un établissement scolaire soit aménagé ; malgré tout, le nombre d’enfant fréquentant l’école reste très faible, et les effectifs dépassent rarement 50 élèves. En effet, pour beaucoup de familles, l’école est loin de la ferme et les parents ne peuvent faire loger leurs enfants au bourg de St-Nicolas-du-Pélem. L’école communale fut ainsi fermée en 1844, au détriment d’un presbytère, mais les conditions dans lesquels les élèves étudient sont médiocres. En effet, la salle de classe « fait partie d’un corps de bâtiment formant par destination des écuries et des greniers à foin ; il est situé au fond d’une cour et l’on y arrive à travers des tas de fumier » (4).
(3) Ces chiffres sont tirés des dossiers d’histoire du Sénat, consultables sur cette page : https://www.senat.fr/evenement/archives/D42/gratuit1.html
(4) Extrait du rapport écrit par l’inspecteur primaire informant l’inspecteur d’Académie de l’état de l’école communale des garçons de Saint-Nicolas-Du-Pélem (10 juillet 1868)
Une solution est enfin trouvée en 1869, avec la création d’un véritable établissement scolaire, destiné aux garçons, rendue possible grâce à Loz de Beaucours(5) qui fait don d’un hectare de terrain à la commune. C’est en 1881 que l’école ouvre officiellement ses portes dans la maison commune comprenant aussi la mairie et la justice de Paix.
Lorsque les républicains arrivent au pouvoir en 1879, de nombreuses lois orientées vers la gratuité, l’obligation et la laïcité sont votées ; ce sont les Lois Ferry, et elles concernent autant les filles que les garçons. A cette époque, Saint-Nicolas-Du-Pélem ne possède pas, malgré de nombreuses lettres successives du sous-préfet de Guingamp, d’école de filles. En 1883, la commune loue un local destiné à l’instruction des filles, mais les classes sont en mauvais état. Il faut attendre 1904 pour que les premières pierres d’une école pour les filles soient posées. Le bâtiment est terminé trois ans plus tard et l’école des filles est séparée de celle des garçons par un muret prolongé par la mairie (Figure 1). Les plans de ces deux écoles sont disponibles en Annexe 1 . Les anciens locaux de la mairie et de la justice de Paix sont transformés en deux appartements pour les adjoints.
(5) Noble famille de Saint-Nicolas-Du-Pélem qui possédait notamment l’église Saint-Nicolas ou Saint Pierre, ancienne chapelle Saint-Nicolas du Pélem et qui a fait de nombreuses donations à la commune (notamment des terrains pour construire des maisons)
1.2 La construction de l’école Bothoa : 1882-1931
Bothoa est une ancienne paroisse très vaste, issue de la paroisse primitive de Pligeaux, de l'évêché de Cornouaille. En 1790, Bothoa devient une commune et même chef-lieu de canton. Mais le 14 juillet 1836, une ordonnance transfère le chef-lieu communal à Saint-Nicolas. Bothoa cesse même d'être une paroisse en 1860, devenant une simple succursale de la paroisse de Saint-Nicolas-du-Pélem. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce changement, notamment le réseau routier qui passent au centre de Saint-Nicolas-du-Pélem, ou encore les mauvaises conditions de cheminement vers le Nord (Bothoa) qui n’est accessible que par le franchissement de la très grande côte de Kerséville, parfois impraticable.
Le nombre d’élève augmente que ce soit à l’écoles des filles ou à l’école des garçons, la nécessité d’agrandir l’école devient une réalité. En 1883, l’inspecteur propose à la commune la construction d’une toute nouvelle école mixte plutôt qu’un agrandissement. Le but est aussi de faciliter l’instruction des enfants vivant hors du bourg ; il est ainsi préférable que cette école soit construite à Bothoa plutôt qu’à Saint-Nicolas-Du-Pélem.
Pourtant, en 1925 l’école n’est toujours pas construite. Il faut attendre 1930 que débutent enfin les travaux de l’école à classe unique, dont les plans sont dessinés par l’architecte Guillermic. Elle est réalisée de sorte qu’un agrandissement futur puisse être possible car l’effectif probable se rapproche de 80 élèves. Le montant des dépenses est estimé à 191 000 francs. La première classe ouvre le 2 octobre 1931 et accueille 11 élèves ; à la fin du même mois elle compte en compte une cinquantaine. La première institutrice nommée fut Marie Le Rouzès, originaire de Châteauneuf, en Ille-et-Vilaine (Cf. Figure). Elle s’engage à enseigner à Bothoa pour une période d’au moins dix ans ; son contrat prévoit alors qu’en cas de désistement prématuré, son père s’engage à verser des dommages et intérêts à la commune.
En raison du nombre trop important d’écoliers (70 élèves), une seconde classe mixte est demandée par le conseil municipal fin 1931. En 1933, après l’avis favorable du conseil départemental des constructions scolaires, le préfet des Côtes-du-Nord adresse le dossier de création de la 2ème classe au ministère. Mais là encore, la construction prend beaucoup de retard et il est urgent qu’elle soit construite. Les fonds sont cependant difficiles à rassembler pour la commune, et les élèves de bas âges sont contraints de rester dans un local à Bothoa pendant près de huit ans jusqu’en1941, année où la seconde classe voit enfin le jour. Cette période est aussi celle de la Seconde Guerre mondiale, et de ce fait, les effectifs diminuent peu à peu. Dans les années 50, cette diminution est plutôt liée à l’exode rural.
A Saint-Nicolas-du-Pélem, en 1945, les cours complémentaires voient le jour. Il s’agit de classes d’enseignement primaire supérieur qui mène les meilleurs élèves au brevet élémentaire. Ces cours sont transformés en Collège d’Enseignement Général (CEG) en 1959. Dans le but de loger les élèves internes, l’école demande en 1957 la mise en place de baraques(6). En 1964 est créé un nouveau groupe scolaire comprenant ces cours complémentaires ainsi que l’école primaire des filles et des garçons, et même une classe enfantine : le collège, qui existe encore actuellement (Cf.) De cette manière, à Bothoa, les effectifs diminuent de manière considérable. C’est pour cela qu’une classe est fermée en 1966 et l’autre en 1977. C’est la fermeture définitive de l’école de Bothoa.
(6) Il s’agit de baraquements américains ayant servi à loger la population lorientaise après les bombardements. Ces baraques ont été cédées à la commune.
2. DE L’ECOLE AU MUSEE
2.1 Deux acteurs engagés pour la sauvegarde du patrimoine
Michel et Nicole Sohier, ont principalement oeuvrés pour la sauvegarde des bâtiments de l’école. Originaires de la région de Saint-Brieuc, ils ont fait le choix, en 1975 de venir s’installer au Pélem, par amour de la langue et « parce qu’il s’y passe beaucoup de choses ». Cette même année, ils travaillent tous les deux au collège de Saint-Nicolas-du-Pélem et mettent en place dans les années 90 la classe patrimoine autour de la culture (Danse, chant, etc.), intitulée « Un monde paysan au Centre-Bretagne » et ils font venir ainsi de nombreux intervenants tels que Marcel Guillou(7). L’école de Bothoa, en lien avec cette évolution du monde paysan, est à ce moment-là vide et abandonnée. Pour Michel et Nicole Sohier, il était hors de question de laisser cette école tomber en ruine. C’est l’association Connaissance et Sauvegarde du Patrimoine de Saint-Nicolas-Du-Pélem qui va prendre en charge cette restauration. Ainsi, après un long travail de collectage, le travail de restauration débute en 1991 : il faut reconstituer, et ce dans les moindres détails, l’école des années 1930, telle qu’elle avait été conçue. Des salles de classes, au logement de fonction, en passant par la cour de récréation, rien n’échappe aux nombreux bénévoles, associations et salariés, pour remettre tout en oeuvre. Juliette Jégou, la fille de Mme Rouzès, la première institutrice de l’école, est ainsi sollicitée pour recréer le logement de fonction de l’institutrice et redonner vie au décor de son enfance.
Des difficultés apparaissent néanmoins, dont l’une, et pas des moindres : les locaux appartiennent à la commune de Saint-Nicolas du Pélem. Ainsi, Michel et Nicole créent l’association Musée rural de l’éducation, pour laquelle ils reçoivent de nombreux dons, qui permettent de réaménager l’école avec le matériel et le mobilier d’époque. Le musée de l’école de Bothoa ouvre ses portes en juin 1994. Il est le seul du département. Absolument tout date des années 1930 : les catalogues, les tableaux, la vaisselle, la literie, les meubles, les encriers, l’estrade de bureau, etc. Lors de son inauguration, Claudy Lebreton témoigne de son admiration pour le travail accompli : « on dirait que quelqu’un y vit ». Tout donne l’illusion du réel, même le maître en blouse grise devant le tableau noir de la salle de classe. La transformation du musée en école a eu un retentissement important au sein de la population locale : de nombreuses personnes ont connu l’école à Bothoa, et se sont reconnues sur les photographies d’époque. C’est toujours avec une pointe d’émotion qu’elles se souviennent et racontent leurs années d’enfance, dont le souvenir est aujourd’hui préservé.
(7) Célèbre chanteur de Kan ha Diskan dans le Centre-Bretagne.
2.2 Dans la peau d’un écolier en 1930
Si la mission du musée est avant tout de collecter pour la sauvegarde du patrimoine, il ne faut pas négliger le devoir de transmission. C’est pour cela que le musée a mis en place depuis 1994 les « journées de l’écolier de 1930 », journées qui sont organisées tout au long de l’année. Cette journée complète est l’animation essentielle qui correspond au souhait des enseignants. La double page suivante retrace plus précisément le déroulement de cette animation. Cette journée est également proposée aux familles durant les vacances scolaires, à raison de quatre fois dans l’année. C’est un moment important de partage et de convivialité entre différentes générations.
Pour avoir plusieurs fois participé à ces journées, certaines des photographies qui suivent sont des photographies personnelles datant pour les plus anciennes de 2007. Un collectage a également été réalisé le 27 juin 2017 à Saint Connan (22) où j’ai à l’occasion, réuni quatre personnes, dont mon arrière-grand-mère, Léa Simon, et ma grand-mère, Monique Burlot.
Le musée organise également des animations pour les visiteurs individuels : la dictée à la plume a lieu ainsi tous les mardis, à 15h. De même, le certificat d’études, organisé pendant les vacances de la Toussaint, un samedi après-midi, est une activité qui rencontre un certain succès auprès des personnes de tout âge le premier “du canton” est évidemment récompensé. Le document en
Annexe 2
est un article paru dans Le Télégramme, le 30 octobre 2015, et décrit particulièrement bien le déroulement de cet après-midi. D’autre photographies du musée et de cette journée sont disponibles en
Annexe 3
.
LA SALLE DE CLASSE :
Le maître attend. A son coup de sifflet, il faut se ranger sagement deux par deux, puis rejoindre les pupitres en silence. La matinée commence nécessairement par la leçon de morale, puis l’on passe à la lecture, l’écriture, ou encore le calcul. Il faut se tenir sage pour avoir un bon-point ; le bonnet d’âne attend les plus récalcitrants !
LA MAISON DES INSTITUTEURS :
Les visiteurs découvrent comment la maîtresse vivait lorsqu’elle exerçait ses fonctions au sein de l’école de Bothoa : utilisation du moulin à café, du garde-manger (car bien évidemment les réfrigérateurs n’existaient pas encore à cette époque). Les grands comme les petits sont pour beaucoup impressionnés car la maison est reconstituée jusque dans les moindres détails.
LA RECREATION :
Il existait aussi un jeu très célèbre dans ces années-là, la course de cerceau. Les enfants se munissent d’une branche qu’ils doivent utiliser dans le but de faire tourner la roue de vélo sur le sol sans la faire tomber.
Les enfants apprennent à fabriquer une multitude de jouets buissonniers, majoritairement fait de bois : chiens, toupies, sifflets, pistolets à eau, etc.
LA CANTINE :
Les élèves se rendent à pieds chez le Café d’Isabelle. Au menu soupe au pain avec en dessert encore du pain mais cette fois-ci avec du beurre !
LE CHEMIN VERS L’ECOLE :
Les enfants, mais aussi parfois des adultes, démarrent cette journée très tôt puisque comme leurs aïeuls, c’est à pied qu’ils se rendent à l’école de Bothoa : pas moins de trois kilomètres à travers champs ! Heureusement, ils ne sont pas contraints de porter de sabots.
«Quatre kilomètres pour monter au bourg et la côte de Kervilly est raide, a plusieurs on s’entraine, on s’encourage, on s’entraide » Souvenirs de Josette Géro Boutefeux de Saint Mayeux.
Comment les élèves étaient-ils vêtus ?
Les enfants du bourg
Les petits garçons du bourg, fils d’artisans et de commerçants sont habillés d’un sarrau noir agrémenté parfois d’un col blanc et d’une lavandière .
Les filles sont quant à elles vêtues d’une robe avec de grands cols et des noeuds dans leurs cheveux. Les filles comme les garçons sont chaussées de bottines à boutons ou bien à lacets
Les enfants de la campagne
Ici, pas de sarrau car c’est beaucoup trop coûteux ni de bottines. Les enfants parcourent parfois de longs kilomètres avant d’arriver à l’école, et ce même durant l’hiver. C’est pourquoi, une tenue chaude est de mise. « Je faisais plus de 10 kms par jour avec sabots, j’avais froids aux pieds, quand il fallait aller chercher la farine j’en faisais le double […] le jour où j’ai eu le droit d’avoir des souliers, je devais les garder propres pour la messe » m’a soulignée mon arrière-grand-mère.
Les garçons portent alors un chandail avec une grosse veste en velours côtelé avec un pantalon et de grandes chaussettes. Les filles ont le point commun d’également porter des sabots cloutés remplis de paille à leurs pieds. La tenue principale des garçons durant l’école est une blouse grise. La photo de gauche présente deux élèves de Bothoa en 1960. Les filles portent elles aussi des blouses, mais pour la plupart colorées, ce que montre la photo de droite. Dans les deux cas, garçons comme filles, la blouse a pour rôle principal de protéger les vêtements des taches mais elle sert aussi à cacher les habits abîmés de certains élèves. « Pour cirer mes sabots, je mettais de la cendre » indique ma grand-mère.
3. BOTHOA, UN VERITABLE CENTRE MUSEOGRAPHIQUE
3.1 Collectage, archivage, et expositions temporaires
Depuis 1994, le musée de l’école de Bothoa dispose, en plus des bâtiments reconstitués, d’une salle d’archives (Figure 8) et d’une salle d’expositions. Les collections du musée, riches et variées, sont répertoriées sur la base Mnémosyne (du nom de la déesse grecque de la Mémoire qui reste la plus adaptée aux collections des musées de l’école et qui permet la mise en réseau des différentes structures concernées. Ce sont aujourd’hui 10853 fiches qui ont été réalisées par le musée de Bothoa.
Les acquisitions du musée sont principalement réalisées lors de la préparation des diverses expositions temporaires (qui ont lieu tous les ans ou tous les deux ans). Des achats ponctuels peuvent en outre être motivés soit par la rareté d’un objet proposé à la vente ou par le fait qu’il manque aux collections du musée. Ces acquisitions se font de différentes manières :
- Par des achats, auprès de professionnels (antiquaires, brocanteurs) ou de particuliers. Le montant des acquisitions s’élève à environ 4000 euros pour la période 2014-2016, ce qui reste minime par rapport au budget global de fonctionnement de la structure.
- Par des dons de particuliers, suite à leur visite au musée : livres scolaires, encyclopédies, livres de bibliothèque, objets d’écriture : une partie de ces dons concerne aussi l’aménagement de la maison (sellette, napperons, vaisselle…). Entre 2014 et 2016, ce sont plus de soixante dons qui sont venus enrichir les fonds du musée. Le reportage réalisé par le journal TF1, en septembre 2016, en partie consacré aux cahiers d’élèves, a permis, en plus de faire connaître un peu plus le musée, de sensibiliser le grand public au patrimoine scolaire. Le musée a ainsi reçu de nombreux dons de cahiers anciens, certains venant de Nantes voire de Lyon.
- Par du collectage, qui représente une part importante des acquisitions du musée. Il s’effectue dans les Côtes d’Armor et les départements limitrophes, auprès des communes et des écoles primaires. Grâce à ses activités d’animation, le musée entretient de nombreux contacts avec le corps enseignant, et est reconnu comme structure de sauvegarde du matériel scolaire. A l’ouverture des lieux, le musée a bénéficié de dons des communes de Kerpert, Sainte-Tréphine et Kerien, qui lui ont notamment permis de mettre en place la salle de classe. D’autre part, l’association poursuit le collectage oral et celui de documents comme les photos de classe des écoles du canton auprès d’anciens élèves et maîtres. Lors de la journée des peintres, un dimanche de juillet 2016 à Saint-Gilles Pligeaux, des bénévoles du musée ont tenu un stand et exposé des documents sur l’école de la commune : les filles d’un côté, les garçons de l’autre, c’était plus facile pour retrouver les noms des anciens camarades de classe. A plusieurs, les mémoires se complètent.
Ces archives constituent souvent le point de départ de nombreuses expositions temporaires, toujours en lien avec le monde de l’enfance : “Au fil du temps, travaux d’aiguilles”, présentée entre 2013 et 2014, “Et si on jouets”, en 2015, “La poupée, un jouet éducatif” jusqu’en novembre 2017, “Tu seras soldat” est l’une des expositions phare présentée au musée depuis son ouverture. Mise en place en 2008, elle fut consacrée à l’enfant et la première Guerre Mondiale, et a permis l’édition d’un ouvrage écrit par Michel Sohier et sa fille Ana. Ce thème de l’enfant et la guerre a été repris en 2017 par le groupe enfant du Cercle Celtique de Saint-Nicolas du Pélem, et a fait l’objet du spectacle présenté le 25 juin à Plédran et le 2 juillet à Guingamp lors du Bugale8.
D’autre part, les collections étant aujourd’hui mieux identifiées, grâce à un intense travail de classement et d’archivage, les collectivité, structures culturelles et musées sont de plus en plus nombreux à solliciter des prêts d’exposition temporaires, de mobilier ou d’objets scolaires. Ainsi, entre 2014 et 2016, 28 structures ont sollicité le musée : le Musée national de l’éducation à Rouen, le Musée de Saint-Brieuc, le château de la Hunaudaye, la médiathèque de Thouaré-sur-Loire, etc.
Le symbole « Breton », présenté ici à droite, était donné à l’enfant qui avait été surpris par le maître ou dénoncé par un camarade pour avoir parlé breton. Celui qui le possédait à la fin de la journée était puni. Le symbole utilisé à l’école de Saint-Nicolas-du-Pélem, dans les années 1930, représentait un petit morceau de bois sur lequel le maître avait fait graver par un enfant, à l‘aide d’un morceau de fer chauffé, le mot « Breton » Ce symbole, réalisé par un ancien élève est présenté actuellement au musée de Dresde en Allemagne, dans le cadre d’une exposition sur les dialectes nationaux.
Autre pratique : Lucien m’a raconté que dans son école, à Saint Connan, ce n’était pas ce symbole qu’ils recevaient lorsqu’ils s’exprimaient en breton, mais une « fève ».
3.2 Un musée actif implanté en pleine ruralité
En 2016, l’association du Musée rural de l’éducation comptait 109 adhérents. Sa gestion administrative et financière est assurée par les membres du bureau, composé de six membres. De plus, trois personnes sont employées à temps plein en CDI. Le Conseil départemental des Côtes d’Armor apporte son soutien financier pour chacun des emplois. La communauté de communes du Kreiz Breizh ainsi que la commune de Saint-Nicolas-du-Pélem participent également au maintien des emplois de la structure.
De 2014 à 2016, le musée a accueilli, en moyenne, 8100 visiteurs par an, principalement des scolaires, à majorité des élèves de grande section de maternelle (Image ci-dessous). La journée de l’écolier correspond en effet aux instructions des programmes de l’Education Nationale, qui insistent sur la prise de “conscience [...] du temps des parents, des générations vivantes et de la mémoire familiale”(9). Les EHPAD sont également nombreux à se rendre au musée, pour un travail de mémoire dans la salle de classe, lieu de souvenirs.
( 9) Source : Eduscol
Implanté en zone rurale, le musée est à l’écart des grandes villes et des axes de circulations. De même, la commune de Saint-Nicolas du Pélem ne compte qu’environ 1800 habitants, dont une cinquantaine seulement à Bothoa. Cette localisation aurait pu constituer un frein quant à la fréquentation mais les visiteurs restent très nombreux. La plupart d’entre eux sont originaires des Côtes d’Armor et des autres départements bretons. Pour autant, de plus en plus de visiteurs sont issus d’autres régions françaises et constituaient en 2016 19% du nombre total d’entrées.
Le musée bénéficie d’une bonne couverture médiatique grâce aux animations proposées et bien relayées par la presse et les médias locaux : Ouest-France, Le Télégramme, Le Poher, L’écho de l’Armor et de l’Argoat. Mais également régionaux avec parfois un relais national. La présence de bretonnants dans l’équipe d’animation permet au musée de communiquer par l’intermédiaire des radios en langue bretonne : Radio Kreiz Breizh (RKB), radio Breiz Izel, Radio Bro Gwened. Le musée est également présent dans les principaux guides touristiques payants qui référencent les centres culturels du Centre-Bretagne et du département : Cri de l’ormeau, Guide du Pays touristique Guerlédan-Argoat. Entre 2014 et 2016, le musée a été l’objet d’un certain nombre de reportages télévisuels présentant les animations, l’histoire du musée et ses collections. Pour autant, le graphique suivant montre que c’est principalement le bouche-à-oreille qui fait la réputation du musée (Image ci-dessous).
Des conférences sont également régulièrement organisées au musée : le 8 août 2015, c’est Ana Sohier qui raconte les écoles de Bothoa et de Saint-Nicolas-du-Pélem de 1829à 1907, en juillet 2016, Marie-Françoise Boyer-Vidal, commissaire de l’exposition « Etre une femme au XXe siècle » et « 40 poupées pour le dire » a présenté l’éducation des filles au XXe siècle.
Ainsi, le musée est très souvent sollicité par des chercheurs : un doctorant travaillant sur la vie quotidienne dans les établissements scolaires de 1938 à 1948 a pu consulter 250 cahiers d’élèves et de maîtres datant de cette décennie, ainsi que de nombreux objets scolaires à l’effigie du maréchal Pétain. Un étudiant en master à Kelenn, centre de formation de Diwan, a pu obtenir des règles de jeux rédigées en breton.
Enfin, la structure a accueilli plusieurs équipes de tournage, à la recherche d’un décor authentique. Ces différents tournages valorisent bien entendu l’image du musée mais également celle du Pélem : le projet Shelburn de Nicolas Guillou et de l’Association Mémoires de Plouha, An dioul laik de Sébastien Le Guillou, satire de l’école laïque écrite par un prêtre du Léon au début du XXe siècle et mise en musique par Alan Rouz et Alexis Orgeolet.
CONCLUSION
« Vers la fin des écoles rurales ? » s’interrogeait Le Monde en août 2016. Indéniablement, la tendance est au regroupement de l’activité scolaire dans des établissements plus importants, et ce malgré l’implication des divers acteurs des milieux politique, scolaire et civil pour en préserver une couverture large. L’évolution de l’école de Bothoa en Musée rural de l’éducation, dont l’activité est aujourd’hui florissante, fait figure d’exception. D’autres tentatives de préservation et de diffusion du patrimoine rural existent au Pélem, à travers l’action des élus et de la société civile, essentielles pour maintenir la cohésion sociale et culturelle qui dynamise les espaces ruraux.
Annexe 1 : plans de l'école des garçons et des filles
Annexe 2 : programme d'une journée de l'écolier-télégramme
École de Bothoa, Saint-Nicolas-du-Pélem, 13 h 30. En blouse grise, Michel Sohier, président de l'association du Musée de l'école de Bothoa, endosse à la perfection son rôle de maître d'école. La mine sévère, il souffle vigoureusement dans son sifflet pour rameuter les candidats dispersés dans la cour. Nous entrons docilement dans la salle de classe, où, sur chaque pupitre, ont été déposés des feuilles de papier à carreaux (jaunies) et un buvard. Mais aussi une plume, qu'il faudra apprendre à manier, ce que la gauchère que je suis fera avec plus ou moins de dextérité. Déjà, certains se posent les bonnes questions : « Qu'est-ce qu'ils avaient comme antisèche à l'époque ? ».
13 h 40.
Coup d'envoi de la dictée. Un texte d'un certain Theuriet, donné aux élèves de Bothoa en 1931. « Laissez un alinéa de deux carreaux et écrivez toutes les deux lignes ». C'est Mme Guéguen, la secrétaire du Musée, qui officie. Elle détache chaque syllabe avec application. Relecture. Vérification des accords, de la ponctuation. Point final.
14 h.
On enchaîne, sans temps mort, avec une série de trois questions portant sur la dictée. Si je me sors, sans encombre, de l'explication de texte, la colle grammaticale me laisse plutôt... dubitative. « Allez, ne vous découragez pas, sur un malentendu ça peut passer », me glisse la maîtresse. La femme du directeur entre discrètement dans la salle pendant que nous cogitons. Mme Guéguen lui fait un bref résumé de l'heure écoulée : « Cette partie de la classe est dissipée. Et puis, ça triche à tout va », lui chuchote-t-elle d'un air faussement agacé, avant de procéder au ramassage des copies.
14 h 30.
C'est l'heure de la rédaction. L'énoncé est écrit à la craie sur le tableau noir : « Vous avez reçu en cadeau une poupée que vous désiriez depuis longtemps. Décrivez les circonstances, votre surprise et votre émotion. » Une main se lève : « Euh... Madame, je n'ai jamais reçu de poupée, moi », fait observer un monsieur. « Il y a discrimination, c'est une rédaction sexiste ! », renchérit un autre. « Peut-être que les poupées gonflables, ça compte ? », ose une candidate. Éclat de rire général. « Il faut que vous vous imaginiez en 1930, tempère Mme Sohier. Et à l'époque, les petits garçons aussi recevaient des poupées ».
15 h 30
. L'épreuve de français bouclée, place à celle - tant redoutée pour ma part- de calcul mental. Armé d'une règle en bois, Michel Sohier énonce didactiquement les consignes : « Je vous donne l'opération ; vous réfléchissez ; je claque la règle sur le bureau ; vous écrivez ; je claque la règle ; vous levez le coude ». C'est parti pour dix opérations effectuées manu militari. Ça va vite. Très vite. Nous n'en ressortirons pas tous indemnes... L'épreuve d'arithmétique qui suit achèvera de me rappeler à quel point j'ai en horreur les mathématiques : je préfère m'éviter la migraine que je sens poindre et rends penaudement copie blanche.
16 h 30.
C'est l'heure des sciences. Os du corps humain, composition du sang et méthodes de conservation (d'époque) : je ne m'en sors pas trop mal. Mais sûrement moins bien que la dizaine de candidats issus de l'Éducation nationale infiltrée parmi nous ! 16 h 50. Dernière épreuve. Le 25 décembre de l'an 800, ça vous parle ? Autant que les affluents du Rhône ? Alors vous n'auriez pas brillé en histoire-géo !
17 h 50.
Après un goûter pris dans la cour, on nous rassemble dans la classe pour l'annonce des résultats. « C'est un assez bon cru, déclare Michel Sohier, les copies à la main. Les plus âgés avaient quelques souvenirs de leur scolarité, mais les plus jeunes... auront le droit de revenir ! ». Seuls quinze élèves auront obtenu la moyenne, qui m'échappe de peu... La faute à mon zéro en arithmétique. Mais quand on aime on ne compte pas. Jamais.
Le Télégramme, 30 octobre 2015, http://www.letelegramme.fr/cotes-darmor/saint-nicolas-du-pelem/certif-a-saint-nicolas-du-pelem-toutes-les-photos-30-10-2015-10831951.php
L’article est complété d’une vidéo de cette journée.
Annexe 3 : photos du musée