Fiche de danse

Dérobée de Guingamp

Terroir

Trégor

Vidéos et musiques

 

Rédacteurs

La première fiche de danse sur la dérobée de Guingamp est parue dans la revue Breiz en 1958. En 1990, cette danse était la danse imposée dans les concours Kendalc’h. Un premier travail de précisions avait été fait alors. Voici republiée cette fiche avec d’autres informations et documents de Françoise Kervellec, nommée référente de cette danse par la commission danse de Kendalc'h.
 

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Famille de danses

Dérobée / Monfarine

Structure de la danse

Danse unique

Accompagnement traditionnel

Biniou
Bombarde
Tambour
Vielle
Accordéon
Violon
Fanfare

Forme de la danse

Appellation

Cette danse en cortège tire son nom du jeu de la dérobée : des cavaliers en surnombre enlèvent, « dérobent » la danseuse de leur choix à son cavalier.

Situation géographique et historique

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Les dérobées sont connues surtout dans les Côtes d’Armor. Dès 1835, on a dansé la dérobée à St Brieuc et Moncontour. Elles atteignent leur maximum de popularité à la fin du XIXe siècle. On les danse surtout dans les villes ou gros bourgs du pays Gallo. Dans la partie bretonnante, elles sont connues essentiellement dans la partie littorale et à Guingamp.
Jean-Michel Guilcher fait un rapprochement avec la Monfarine, danse à cortège de l’Italie du nord. Les soldats de l’armée napoléonienne auraient diffusé cette danse à leur retour des campagnes d’Italie. On retrouve  cette appellation  dans le Finistère. Cependant la dérobée n’a pas eu un si grand succès que dans les Côtes d'Armor.

Informateurs, témoignages et transmission

La dérobée est une danse très populaire dans l’ensemble des Côtes d’Armor. Jean-Michel Guilcher lui consacre un chapitre détaillé dans son ouvrage La tradition populaire de danse en Basse Bretagne. En 1933, Erwanez Galbrun s’attache à la description de la dérobée en Trégor et dans le pays de Guingamp dans son livre Les danses bretonnes. Elle y décrit quatre figures illustrées par des schémas. La première fiche de la « dérobée de Guingamp » à six figures est écrite par Gérard Pigeon et R. Charles et apparaît dans la revue Breiz en 1958. La dérobée de Guingamp a été danse concours en 1990 pour les groupes de Kendalc’h. A cette occasion, la fiche a été réécrite et un premier travail de précision avait alors été fait grâce aux témoignages de Polig Monjarret, d’Yves Tilly, saxophoniste et chef d’orchestre de l’Harmonie municipale de Guingamp de 1965 à 1985, de Gérard Pigeon, membre du cercle celtique de Guingamp dans les années 1950. Une autre fiche, plus précise encore avait suivi en 2001. Dans ses articles très précis, publiés dans la revue Musique bretonne en 1990 (n° 100, 101, 103), Christian Morvan livre le fruit de ses recherches sur la dérobée en Côtes d’Armor. Sur le site de Muzik e Breizh, il est possible de lire l’article publié dans le numéro 100 et d’écouter deux enregistrements 78 tours de 1937.

Occasion de danse

A Guingamp, la dérobée se dansait lors des fêtes de la Saint-Loup début septembre. Après avoir dansé au lieu-dit « Run Varec » à Pabu (polka, scottish, mazurka...), les Guingampais regagnaient la ville en cortège ouvert à tous (commerçants, bourgeois, artisans, employés), avec en tête,  les notables de la ville comme le montre la photo. L’accompagnement musical était assuré par l’Harmonie municipale ou par le 48e R.I. de Guingamp. Ces formations disposaient de la suite composée par P. Thielemans (1881). Elle comportait six airs enchaînés provenant de différents endroits. A la fin du XIXe siècle, la fête était organisée par la municipalité.

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   Le cortège de la dérobée entre dans Guingamp, fanfare en tête vers 1900. Collection D. et R. Labbé

Origine et famille de danse

Les figures ont pour origine les quadrilles et contredanses. Elles varient « d’un lieu à l’autre et sont entrées dans l’usage une à une, à des dates différentes. Ni au commencement, ni au terme, on ne relève dans la tradition proprement populaire, d’enchaînement de figures stables et original » Jean Michel Guilcher. La figure peut être toujours la même.

Forme et structure de la danse

Il s’agit d’un cortège. La partie A (2 phrases de 8 temps) est une promenade. La partie B (2 phrases de 8 temps) comporte une figure. Actuellement la dérobée de Guingamp s’exécute en formation de huit couples disposés en cortège. Elle comporte six figures différentes : c’est une réunion de figures pratiquées dans plusieurs endroits et de différentes époques. Polig Monjaret dans la revue Musique Bretonne n° 103 parle de cet enchaînement qu’il avait déjà réalisé en 1942 : « Il s’est fait en respectant l’ordre des airs fixés par Pierre Thielemans, ceci d’après les figures connues dans les secteurs où ces airs étaient les plus connus...» Comme la suite de Pierre Thielemans comporte six airs, il fallait six figures. C’est ainsi que la figure appelée « le grand pont » est apparue dans les années 1950 selon Gérard Pigeon. Le jeu de la dérobée fait l’originalité de la danse. Il consistait pour un danseur à « dérober » une cavalière. Dans de nombreuses localités, pour éviter des problèmes, le jeu sera limité. Ainsi à Guingamp en 1853 : « Dans une même dérobée, on ne pourra dérober qu’une seule fois. ». Le jeu sera même de plus en plus interdit, des commissaires seront nommés pour veiller au bon ordre, les règlements seront affichés et publiés dans la presse.

Le cortège de la dérobée dans la rue Notre-Dame à Guingamp lors de la Saint-Loup
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Figures

Les danseurs alternent les figures avec une promenade qui permet au cortège de progresser.  La danse commence par une promenade (16 temps). Le pas est un pas de marche marqué par un léger sautillement ou pas marché (pas d'écolier).

1ère figure : «  double courbe »  ou « dérobée » (16 temps) 

L’appellation « dérobée » de cette figure est assez curieuse. Cela vient certainement du fait qu’il est plus facile de dérober une cavalière pendant cette figure car elle se retrouve seule pendant un moment.
Les danseurs du premier couple se séparent au temps 1, décrivent un demi-cercle, remontent le cortège (bras droit ballant, main gauche à la hanche pour le cavalier, main gauche à la jupe pour la cavalière). Ils sont suivis par les autres couples qui eux aussi se séparent aux temps impairs. Le pas est sautillé (pas d’écolier).

Promenade (16 temps) : sautillement. Elle commence au moment où le premier couple se retrouve, le dernier couple vient de se séparer. Les danseurs se retrouvent aux temps impairs.

 
 

2e figure : « Le tourniquet » ou « moulin à quatre » (16 temps)

Profitant des derniers temps (13, 14, 15, 16) en pas marchés de la promenade, les couples de rang impair font face aux couples de rang pair, en se retournant vers la gauche (le cavalier entraîne sa cavalière). Les deux derniers couples se mettent en position sans avoir repris le sens de la marche.
Au temps 1, les danseurs forment un tourniquet en tendant le bras droit vers le centre, les cavaliers saisissant le poignet de la cavalière de l’autre couple, les cavalières le poignet de leur cavalier. Le tourniquet tourne dans le sens des aiguilles d’une montre. Le pas est sautillé. Des bras bien tendus favorisent une bonne rotation. Durant les quatre  derniers temps, les couples reprennent leur place dans le cortège tout en conservant le pas d’écolier.

Promenade (16 temps) en cortège : sautillement (pas d’écolier).

 
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Le « Tourniquet » ou « Moulin à quatre »

3e figure : Les traversées (16 temps)

Même mise en place des couples impairs que pour la 2e figure. Le pas est marché.
Première traversée
Au temps 1, les danseurs se lâchent, se croisent sur 4 temps, départ pied gauche (cavaliers à l’extérieur, cavalières à l’intérieur et épaule gauche contre épaule gauche). Les couples se reforment (temps 4), font demi-tour au 5e temps et rebondissent sur place les 6e, 7e et 8e  temps en vis-à-vis, prenant appui sur le pied droit, le pied gauche légèrement en avant.
Deuxième traversée
Même mouvement sur les 8 temps suivants. Toutefois, le couple de rang impair, au lieu de rebondir sur place, utilise ces quatre derniers temps pour achever un tour complet en marchant afin de se repositionner en promenade.

Promenade (16 temps) en cortège sautillement.

 
 

4e figure : Les saluts (16 temps)

Cette figure se fait en marchant.
1 - Les danseurs se libèrent la main gauche, s’écartent de trois pas en se faisant face et se saluent sur le troisième temps (gauche, droit, salut pieds joints).
2 - Cavalier et cavalière du même couple se croisent en 5 pas et se saluent une deuxième fois sur le 8e temps (départ pied gauche, droit, gauche, droit, salut pieds joints).
3 - Les danseurs reprennent leur première position en 5 pas et se saluent une 3e fois sur le 13e temps (départ pied gauche, droit, gauche, droit, salut pieds joints).
4 - Les trois derniers temps sont utilisés pour reprendre la position de promenade (droite, gauche, droite).

Promenade (16 temps) en cortège : sautillement.

 

5e figure : Le pont (16 temps)

Le couple de tête, se tenant par la main droite, se fait face et lève le bras au temps 1 pour laisser passer les couples suivants qui viennent se ranger chacun à leur tour aux côtés immédiats du premier. Pour former le pont, chaque couple doit lever le bras au temps impair qui correspond à son rang. Au 15e temps, le pont doit être complet. En sortant du pont, il faut s’écarter suffisamment pour faciliter le passage des autres couples. Le pas est marché. Pendant ce temps, les couples formant déjà le pont progressent dans le sens inverse de la marche du cortège, à raison d’un pas latéral par temps impair (cavalier : pied droit, cavalière : pied gauche). Les pieds sont joints aux temps pairs.

Promenade (16 temps) : Au temps 1 de l’air suivant, le premier couple rentre sous le pont et continue sa progression après en être sorti. Les autres couples le suivent au temps impair qui correspond à leur rang. Les danseurs marchent sous le pont et reprennent le pas sautillé à la sortie.

6e figure : Le pont dérobée (16 temps)

Seul le premier couple fait le pont au temps 1. Le couple suivant passe sous les bras, se sépare aussitôt et exécute le même mouvement qu’à la 1e figure (double courbe). Il entraîne les autres couples à sa suite (séparation aux temps impairs). Le couple de tête se sépare lui-même à la suite du 8e couple au temps 1 de la promenade suivante. II se trouve ainsi placé le dernier pour la série de figures suivante. Cette figure entraîne une permutation des rangs pairs et impairs des couples.

 
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Tenue et mouvement de bras

Le cavalier est à gauche de la cavalière ; ils se tiennent main droite dans main droite, main gauche dans main gauche ; le bras droit du cavalier est croisé par-dessus le bras gauche de la cavalière, coudes levés sans excès , légèrement décollés du corps (sur les documents du début du XXe siècle, on remarquera que les danseurs se tiennent uniquement par la main droite).

Style

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Dans le cortège de dérobée se côtoient des danseurs de différentes classes sociales. La dérobée attire à Guingamp un public plus bourgeois que dans certains autres bourgs. Certains témoins parlent de style « guindé » et « cérémonieux ». Le jeu de la dérobée apportait une note de fantaisie qui, justement, ne plaisait pas aux dames de la société bourgeoise. Erwanez Galbrun fait remarquer qu’à Guingamp en 1933 les couples dansent sur un parcours de plus de 2 km. On peut supposer que le tempo était lent pour épargner les danseurs qui sûrement marchaient. Elle déplore que, par la suite, cela soit devenu un « galop ». Un tempo jusqu’à 120 noires/min. permet d’éviter cela.

Accompagnement musical

Différents airs et chansons ont été collectés dans le département. Tous les instruments connus dans les Côtes d’Armor ont joué la dérobée : biniou, bombarde, tambour, vielle, accordéon, violon. A Guingamp, L’Harmonie Municipale accompagne la dérobée. Elle dispose de deux suites instrumentales composées chacune de six airs. Pierre Thielemans puis Jean-Louis Boivin (1837-1927, professeur de musique à Guingamp) les ont publiées en arrangement pour piano. L’Harmonie municipale jouera la suite de Pierre Thielemans jusque dans les années 1960-1965.

CD de référence

Dérobée de Guingamp, harmonie municipale de Guingamp selon la partition de Pierre Thielemans
Laeradeg, extrait du CD Evit dañsal de Jil Léhart et Daniel Féonn éditions Diffusion Breizh, 1993. D'après l'interprétation d'Etienne Rivoallan (1931-1961) et Georges Cadoudal de la suite de Thèmes publiés par Pierre Thielemans(1882).

 
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Mode vestimentaire

Le Trégor connait une très grande unité des modes vestimentaires sur son territoire. Le costume des femmes à la fin du XIXe siècle se compose d’un caraco appelé « korfenn », plus ou moins ajusté et agrémenté de plis, dentelle fermé par le milieu à l’aide de boutons, le col officier commence à apparaître mais il est encore peu haut. Pour les cérémonies ou les grandes occasions, les manches peuvent être recouvertes d’une bande de velours (qui disparaitra au siècle suivant). Une jupe rasante, et un tablier confectionné dans des étoffes plus ou moins riches selon les circonstances finissent le costume. La pièce maîtresse reste le grand châle, le plus souvent noir, parfois brodé, il en existe aussi de couleur. Enfin, elles portent comme coiffe l’emblématique toukenn et parfois la cornette ou catiole (coiffe de cérémonie). La mode masculine en Trégor est depuis la fin du XIXe siècle le costume citadin.

Ressources

  • Fiche technique dans la revue Breiz, 1958
  • Guilcher Jean-Michel, La tradition populaire de danse en Basse-Bretagne, 1963
  • Galbrun Erwanez, Les danses bretonnes, 1933
  • Morvan Claude, articles dans Musique Bretonne, n° 100-101-103 et sur le site Musik e Breizh avec  la possibilité d’écouter deux enregistrements 78 tours de 1937

Remerciements

La dérobée de Guingamp a été danse concours en 1990. A cette occasion, Claudine et Jean-François Bourdoulous, Martine Denniel, Jean-Yves Garel, Gaèle Herbert-Le Bourdonnec, Yves-François Le Bourdonnec, Françoise et Alain Kervellec ont participé à l’enseignement de cette danse.

  • Référente de la danse et rédaction de la fiche : Françoise Kervellec
  • Témoignages : Polig Monjaret, Gérard Pigeon, Christian Morvan, Yves Tilly, Yvon Dupré
  • Relecture : Gaèle Herbert-Le Boudonnec, Rohan Helou
  • Iconographie : Kendalc’h
  • Musique : Daniel Féon et Jil Léhart, Harmononie municipale de Guingamp
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Guingamp, la Fête de la Saint-Loup
Collection Le Carton Voyageur

Rappel

La Commission danse de Kendalc’h tient à rappeler un certain nombre d’éléments qui prévalent à l’élaboration de cette  fiche de danse. Il en est strictement de même pour toutes les fiches à ce jour publiées. La version proposée dans une fiche de danse fait suite à une étude longue, profonde et sérieuse qui s’appuie sur des sources et témoignages fiables. Cette fiche qui se veut un témoignage intangible, valorise une version, probablement la plus répandue de cette danse. Mais tout naturellement, même si nous la considérons comme majeure, cette version ne peut en aucun cas se prévaloir d’être l’unique version, il peut exister des variantes, liées à l’époque de référence, les lieux, l’âge et l’implication des personnes qui ont été porteuses de cette tradition et qui nous l’ont transmise. Penser différemment, serait totalement contraire à l’éthique qui entoure notre action vis-à-vis de notre environnement patrimonial.